Nous nous apercevons ainsi qu’en plus d’être elle-même musicienne, Charlotte Selver échafaude son concept de Sensory Awareness ("conscience sensorielle") dans un environnement baigné du rayonnement artistique. Son expérience s’est forgée auprès d’enseignants de gymnastique ("éducateurs du mouvement" serait une formule plus exacte) dont la plupart viennent non pas du milieu médical ou sportif mais de celui de la danse et de la musique. Toujours est-il qu’en 1938, fuyant le régime nazi en raison de sa confession juive, Charlotte Selver emporte cet héritage dans ses bagages pour l’enseigner aux Etats-Unis. Dans les années 1950, elle introduit la Sensory Awareness à la New School for Social Research et collabore avec les psychanalystes du William Alanson White Institute à New York [10]. Elle intéresse alors Erich Fromm (1900 – 1980) mais également Fritz Perls (1893 – 1970), fondateur de la Gestalt-thérapie. Elle continue d’entretenir une correspondance avec Elsa Gindler et Heinrich Jacoby, mais c’est sa rencontre avec le philosophe zen Alan Watts (1915 – 1973) qui s’avèrera déterminante. En 1963, celui-ci l’invite à rejoindre la communauté de l’institut Esalen, à Big Sur (Californie). Avec l’aide de son second mari, Charles W. Brooks, co-auteur de son livre Sensory Awareness (1974), Selver y façonne cette idée du potentiel humain, de la conscience sensorielle de l’instant impliquant la totalité de l’être [7,1]. La triade body–mind–spirit (corps–mental–spiritualité) se dessine alors progressivement, s’érigeant en principe fondamental unifiant les thérapies psychocorporelles de la seconde moitié du XXème siècle. Charlotte Selver concrétise cette « expérience au travers des sens » sous la forme d’ateliers non verbaux d’expression artistique, de mouvements et postures corporels, d’exercices respiratoires mais également de techniques empruntées au massage suédois classique. Ainsi, le toucher, par l’intermédiaire du massage, participe à l’accomplissement de cette recherche émotionnelle. Le concept de Sensory Awareness séduira nombre de ses collègues et disciples de l’Institut Esalen, notamment Ida Rolf (rolfing), Moshe Feldenkrais (méthode Feldenkrais), Magda Proskauer (massage Proskauer), Molly Day-Shackmane (massage Esalen), George Downing (massage euphorique) et enfin, Margaret Elke (1919 - ?). Cette dernière y mêle des notions de Gestalt-thérapie mais aussi de philosophies orientales et amérindiennes pour concevoir en 1968 un nouveau type de massage psychocorporel : le Sensitive Gestalt Massage [8], qui prendra le nom de massage californien lorsqu’il traversera l’Atlantique en 1974.
Texte : © 2022 Florent DELES. Toute référence à cet article doit porter la mention :
"DELES Florent - « L'Histoire du massage artistique : quand l'émotion devient palpable », Massage artistique & Massographie (www.massage.art), 2022".
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